POUR FAIRE POUSSER DES BELLES ROSES | IL FAUT COMMENCER À LA MASSE

L’importance des bases solides dans l’apprentissage d’un sport

Origine du concept

En faisant mon jardin, j’ai remarqué que des roses poussaient très solidement autour d’un gros pilier en béton franchement grossier qui avait été planté à la masse il y a quelques années. J’ai commencé à rêvasser et voir une allégorie de l’apprentissage du rugby. Je pense que cela s’applique à d’autres sports (tous ?) également, voire même à l’éducation, au management etc. Libre au lecteur d’y trouver son compte.

Depuis quelques années, j’ai dû raccrocher les crampons de rugby. J’ai dû reculer devant un adversaire aussi implacable que la ligne de touche : l’âge. Il arrive un jour où on est tout simplement largué : physiquement, moralement, techniquement. Souvent, la technique peut encore sauver les apparences quelques années, mais soyons honnête, cela sert souvent de cache-misère. Même la meilleure technique se fait un jour supplanter par la rapidité d’exécution ou les skills d’un joueur plus jeune. La roue tourne et c’est normal.

Et justement, il est ici question des jeunes joueurs ou des joueurs débutants.

Les roses illustrent le talent et l’attitude d’un joueur.

Pour que cela puisse éclore, on passe d’abord par une période austère d’apprentissage de plusieurs sortes de bases.

C’est la partie qui se fera à la masse…

La masse et la rose, source personnelle

La masse et la rose, source personnelle

Base 1 : les valeurs

Pour monter un pilier en béton, il faut travailler, travailler et travailler encore. Eriger ce pilier ne se fait pas dans la douceur : on enfonce les fers qui serviront de structure primaire à grands coups de masse. On travaille le béton à la force du poignet. C’est pénible et lourd mais c’est primordial. Sans ces efforts, on n’érigera rien du tout et les fleurs partiront dans tous les sens.

Le pilier de béton le long duquel les roses vont pousser, ce sont notamment les valeurs.

Cela s’applique bien entendu à tous les sports dans une certaine mesure. Même les sports individuels se pratiquent en équipe d’une certaine manière. Je suis un grand fan de sports de combats et il est évident qu’une logique similaire s’applique aux valeurs communes d’une académie, d’une écurie, d’un club, etc 

Et justement, les valeurs de base constituent le ciment du sport. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises valeurs à mon avis. Certaines équipes érigeront la victoire ou l’excellence comme une valeur primordiale, d’autres l’’intégration de joueurs, d’autres l’esprit de camaraderie, d’autres le travail etc.

De ma propre expérience, trop de gens essaient de respecter trop de valeurs. C’est le meilleur moyen de se perdre : essayer de tout intégrer, cela revient finalement à ne rien intégrer. Je préconise toujours le « less is more ». Moins c’est plus. Une ou deux valeurs fondamentales seront toujours plus maitrisables que douze idées scabreuses.

Pour l’anecdote, mon fils de 8 ans joue au rugby depuis quelques années. Il évolue dans une école de rugby d’un niveau moyen : il n’y a pas vraiment de super talents qui crèvent l’écran parmi les joueurs, mais la notion de plaisir a toujours été au centre des discours de l’éducatrice de cette école. J’ai aussi eu à cœur de partager avec mon fils ce qui est pour moi la valeur fondamentale du rugby : l’amitié.

Un jour, après un tournoi, je l’ai attendu 45 minutes à la sortie des vestiaires. Finalement, je me suis risqué à aller voir et j’ai trouvé cette équipe de marmots debout sur les bancs en slip en train de chanter comme des dingues et de rigoler. Je crois me souvenir que ce jour, l’équipe n’avait pas gagné un seul match. Mais l’amitié et le plaisir étaient au rendez-vous. Je crois que j’ai été plus fier de voir mon fils mener cette sarabande que je ne l’ai été de voir tous ses plaquages !

Pour moi, cet épisode était une illustration parfaite d’une valeur qui avait été intégrée et qui avait du succès. Bien entendu, cela est dû à l’état d’esprit insufflé par l’éducatrice qui a martelé cette notion à chaque entraînement et chaque match de chaque tournoi.

La base avait été plantée à la masse, le plaisir avait fleuri 

Maillot de Liam Williams, Finale HCC 2019, source personnelle

Maillot de Liam Williams, Finale HCC 2019, source personnelle

Base 2 : la sécurité 

Comme tous les sports de contact, le rugby peut s’avérer un sport à risques. Il est donc primordial que la sécurité des participants soit assurée. Il s’agit d’un aspect majeur de tous les sports, à mon avis. Trop souvent, on hésitera à expliquer à un joueur que sa sécurité n’est pas assurée par son manque de bases. Trop souvent, on se dit que « ça ira », trop souvent, on se dit qu’on « verra plus tard ». Et on est toujours plus malin après l’accident…

J’ai eu la malheureuse chance d’observer des cas effrayants et parfois dramatiques. Lors de matchs que j’ai regardé comme spectateur ou comme coach, j’ai parfois observé des joueurs se mettre véritablement en danger par leur manque de bases techniques. J’avais notamment dans mon équipe quelques spécimen ne savant tout simplement pas tomber par terre. Dans un sport se passant la moitié du temps au sol, cela peut sembler étonnant. Combien de fois ai-je vu des gars retomber sur la nuque, les épaules, les mains ?

Ces principes de sécurité sont à marteler encore et encore et encore. J’en veux pour preuve ma propre expérience.

Après une interruption de pratique du rugby assez longue, lors de la première session une fois de retour, j’ai montré aux nouveaux joueurs une technique de plaquage en insistant bien sur le fait d’enserrer le porteur de balle avec les bras et de l’accompagner jusqu’au sol en le tenant fermement. Cela avait pour but d’éviter de tomber sur son propre bras avec un double poids. Cette phase de jeu était mon point fort durant de nombreuses années.

Après pas mal de temps à driller (marteler !) cela, nous sommes passés à la pratique dans un jeu avec contact. Et là, qui est l’imbécile qui plaque, retombe sur son propre bras et se le casse ? Vous avez deviné, c’était bien moi…

Durant mes 6 semaines de plâtres j’ai réalisé que oui, je connaissais la théorie, oui je savais l’enseigner, mais j’avais oublié de me la marteler à moi-même. Expérience concluante. Même si cela avait été enfoncé à coups de masse dans mes réflexes il y a longtemps, il fallait continuer encore et encore pour que la structure en béton tienne bon…

 

Sam Warburton, source Getty Images

Sam Warburton, source Getty Images

Base 3 : la technique

Dans le même ordre d’idée de base technique, il y a tous les gestes basiques : les fondamentaux, les gammes ! En rugby, c’est la passe, le plaquage, le contact, le coup de pied (bien que largement négligé) et quelques autres.

Malheureusement, souvent, ces basiques sont oubliés ou remisées « pour plus tard » car ils demandent un entretien constant et franchement austère. Ces bases doivent être martelées encore et encore, quel que soit le niveau de jeu. Certes, ils ne semblent plus prioritaires à un moment donné : on croira parfois que ces gestes sont « acquis ». Je n’y crois pas.

Pour preuve, lors d’un match sous pression, quand on est dans le rouge physiquement, mentalement, qu’on n’entend plus rien et qu’il faut défendre sa ligne dans les dernières minutes, ce n’est pas le geste de génie qui sauvera l’équipe. Dans 99% des cas, ce sera l’application simple des gestes basiques : plaquer, se relever, plaquer, se relever, etc. Si tous les joueurs maitrisent ces gestes et les appliquent, la ligne demeurera infranchissable,

Un exemple que j’avais lu venait de Mark Cueto, ancien international anglais (à 7 et à 15, 55 sélections et plus de 300 matchs en Club). Il indiquait dans une interview quel était son secret pour rester consistant : il avait répondu qu’après chaque entraînement (donc 3 fois par jour 6 jours sur 7), il effectuait 10 plaquages, 10 passes et 10 coups de pieds avec un partenaires.

Austère, oui, sans aucun doute, mais la maitrise des basiques est à ce prix. De l’abattage répété encore et encore avec un gros outil pas très sexy. Ensuite seulement, on pourra faire parler le génie, l’inspiration, le flair, et tous ces termes poétiques qui feront éclore les plus belles roses.

 

Mark Cueto, source Mirror.co.uk

Mark Cueto, source Mirror.co.uk

Conclusion : marteler, fleurir, perdurer

Pour l’entraineur, le challenge sera là : comment faire intégrer les bases tout en faisant progresser les joueurs. J’ai connu des entraîneurs qui ne juraient par exemple que par le recours aux valeurs : l’esprit guerrier, la solidarité, l’engagement, et tout ce genre de choses. Souvent, ces principes étaient martelés à grands coups de claque dans les vestiaires avant les matchs. La méthode a ses limites dirons-nous…

Mais si votre équipe ne sait pas faire une passe, vous aurez beau remonter les joueurs comme des pendules, vous n’irez pas loin.

Dans le même ordre d’idée, en ne se focalisant que sur la technique, vous ferez certes des joueurs assez complets, mais incapables de jouer dans l’adversité. Si votre équipe se fait dominer par une équipe techniquement autant compétente mais que vous pouvez compter sur la motivation de vos joueurs, il y a de bonnes chances que cela suffise à passer devant. A ce moment, ce sont les valeurs de l’équipe qui serviront d’essence au moteur. 

Maintenant, tout est question de dosage. Certes il est primordial de marteler les bases et de s’assurer qu’elles sont répétées (les 3 piliers de l’éducation : répéter, répéter, répéter) mais il faut aussi faire progresser les joueurs en leur proposant des thèmes inédits qui vont défier leur adaptation et, finalement, s’appuyer sur les basiques pour mieux faire fleurir le jeu.

J’ai connu des entraînements au plaquage qui duraient 120 minutes : deux heures à se rentrer dans la viande et répéter inlassablement les techniques. Quand les bases se font au détriment du reste, vous êtes à côté de la cible.

Mon avis pratique c’est que chaque session d’entrainement de n’importe quel sport et à n’importe quel niveau doit comporter une partie de répétition des basiques. C’est plus souvent la redondance de la pratique qui portera ses fruits, plutôt que de bourrer une séance d’un seul thème puis y revenir dans 6 mois seulement. Ces refresh peuvent facilement s’intégrer dans des jeux, des petites compétitions etc. Tout est question de dosage et la limite sera uniquement votre imagination d’entraîneur.

 Pour finir, l’important est que les basiques puissent être passés, compris, intégrés et repassés plus loin : aux nouveaux joueurs et aux jeunes joueurs. C’est tout simplement en passant par cette phase obligatoire de martelage du béton que vous ferez fleurir des roses pour longtemps et que les générations suivantes en bénéficieront aussi.

Rédaction par Vincent Prébandier

Mur du vestiaire des Saracens, Allianz Park, source personnelle

Mur du vestiaire des Saracens, Allianz Park, source personnelle