Origines du concept
Le concept KYC m’a été expliqué en 2020 lors d’une formation d’entraîneur. L’intervenant venu d’Ecosse, entraîneur d’une équipe de deuxième division professionnelle tenait cet acronyme de son propre formateur, Kenny Murray, actuel entraîneur de la défense des Glasgow Warriors, l’un des deux Clubs de l’élite en écossaise. Personnellement, je pense que l’application de ce concept résume tout simplement ce qui fait la différence entre un bon et un mauvais coach.
Know Your Cattle – en bonne expression du terroir écossais se traduit par connaître son bétail. Cela résume simplement que le coach doit connaître ses troupes comme un éleveur doit connaître ses bêtes afin de les élever dans les meilleures conditions et d’en maximiser le rendement.
Car oui, les joueurs sont parfois du bétail, avec tout le respect que je dois au bétail et aux joueurs. Parfois, les joueurs demandent simplement qu’on s’occupe d’eux et qu’on s’assure de leur productivité. Ils suivront leur éleveur sans discuter du moment que celui-ci soit cohérent.
En « connaissant son bétail », on s’assure de demander à son équipe ce dont elle est capable et on cherchera à optimisera ses compétences. Cela permettra également de connaître la marge de progression afin d’adapter la vitesse d’apprentissage des différents sujets.
Analyser son équipe
Avant toute chose, il s’agit d’analyser son équipe. Comme dans toute réflexion, il faut s’asseoir avec une feuille de papier et tracer trois colonnes : les forces, les faiblesses et la zone grise qui laissera la place à la créativité.
Globalement, on peut tout analyser : la forme physique, la compréhension du jeu, l’expérience des joueurs, l’âge moyen du squad, identifier les leaders de jeu, etc… Il y a des milliers de paramètres qui peuvent être pris en compte et c’est un piège dans lequel beaucoup d’analyses tombent.
En effet, le meilleur moyen de ne rien voir, c’est d’essayer de tout voir.
Il s’agira donc de se focaliser sur deux ou trois paramètres au maximum et de mettre l’accent dessus. Il est primordial d’être réaliste : Mon équipe est-elle en forme oui ou non ? Quelles sont nos chances réelles dans le championnat ? Mes joueurs savent-ils lire une défense ou non ?
C’est un exercice difficile car beaucoup de entraîneurs peuvent se mentir à eux-mêmes dans cette phase.
Si vous connaissez VRAIMENT votre bétail, c’est un bon début.
Adapter les objectifs
Dans un second temps, il s’agira de poser les objectifs à court, moyen et long terme. Encore une fois, il s’agit ici d’’être réaliste et cela représente la principale difficulté de l’exercice qui demande une très grande modestie. Combien de coach vont vouloir implanter des objectifs aléatoires en fonction de ce qu’ils veulent, au lieu de les placer en fonction de ce qui est possible ?
J’ai souvent vu des entraîneurs essayer de forcer des objectifs irréalistes en comptant sur la motivation et en essayant de défier leurs joueurs : « On a fini derniers la saison dernière mais ce n’est pas grave ! Cette saison, on vise le titre ! ». Il faut être réaliste : si vous avez le même groupe de joueurs, avec les mêmes paramètres de jeu, à moins d’un désastre chez tous les adversaires, il y a peu de chance que cela fonctionne.
En revanche, poser des objectifs réalistes à court et moyen terme permettra d’atteindre d’autres objectifs plus élevés à long terme. Step by step.
Je me souviens avoir vécu un cas tout à fait similaire en entrainant la sélection nationale féminine : nous étions parvenus à nous hisser en qualification de Coupe du Monde avec un groupe solide mais vieillissant. Une grosse partie des joueuses et du staff, moi y compris, ont préféré arrêter après cette qualification, ayant atteint leurs objectifs personnels et voulant laisser la place aux jeunes. C’était une marche énorme à grimper et de manière réaliste, l’équipe avait alors atteint son potentiel maximum.
Le staff suivant avait fixé un objectif irréaliste : se qualifier pour la Coupe du Monde. Il nous avait fallu quatre ans de travail avec le même groupe pour atteindre les qualifications de justesse. Sans surprise, la campagne a tourné au désastre. Environ 250 points encaissés en trois matchs. Les deux tiers de l’équipe avaient changé ainsi qu’une bonne partie du staff. La roue avait tourné. Le bétail avait changé, les objectifs auraient dû changer aussi. Un flagrant manque de réalisme et peut-être même de modestie.
Il ne faut pas confondre objectifs et ambitions : les objectifs sont mesurables et on peut les régler en fonction des compétences de l’équipe. Les ambitions sont philosophiques et souvent liées à des questions d’ego.
On ne fait pas des taureaux de combat avec des veaux du jour au lendemain en comptant juste sur leur motivation. Know Your Cattle.
Adapter le jeu
Finalement, il est important d’adapter le jeu lui-même, particulièrement les bases simples vers lesquelles se réfugier dans le chaos d’un match. Cela paraît simple, mais ça ne l’est pas car encore une fois, il s’agit d’être réaliste et modeste.
Par exemple : prenez un coach très orienté sur un jeu physique et agressif dans le contact. S’il se retrouve à coacher une équipe légère et rapide : sans connaître son bétail ou en ignorant ses compétences, il se heurtera immanquablement à un échec.
Ce type de jeu demande un gros paquet d’avants : lourds, costauds, agressifs. C’est la condition sine qua non pour que cela fonctionne. Pour ma part, je suis naturellement orienté sur ce type de jeu. Seulement, je pense que mon joueur le plus lourd actuellement doit peser 85 kg. Une rapide analyse de mon bétail m’a fait vite comprendre que je pouvais abandonner mon idée « naturelle », soit le jeu physique.
Encore une fois, cela représente une difficulté pour bon nombre d’entraîneurs. L’exercice de poser des objectifs réalistes peut s’avérer frustrant : « J’aimerais mettre cela en place car je m’y sens à l’aise, mais est-ce que je le peux vraiment ? ». Cela demande une réflexion parfois difficile et beaucoup d’adaptation.
Il est aussi parfois possible d’élaguer au maximum un type de jeu pour n’en garder qu’une toute petite partie mais qui fonctionnera. Par exemple, je suis un fan du jeu d’enchaînement des All Blacks de Nouvelle-Zélande : clairement il est irréaliste d’essayer de l’appliquer avec une équipe universitaire suisse. En revanche, je peux essayer d’isoler un type de phase de jeu très simple et applicable de manière réaliste et essayer de le mettre en place.
Également, il ne faut pas hésiter à tester, modifier et parfois renoncer à des parties de plans de jeu qui ne fonctionnent vraiment pas. J’ai vu des entraîneurs trouver toutes les explications possibles, souvent sans se remettre en question, pour expliquer la faillite de leur système de jeu. Il est plus facile d’accuser le bétail d’être nul plutôt que de se demander si l’herbe est vraiment bonne. Toujours la modestie…
Dans le même ordre d’idée, on ne fait pas des chevaux de course avec des taureaux.
Know Your Cattle.
Conclusion
Le principe de base de KYC peut sembler trivial mais comme toutes les méthodes efficaces : less is more.
C’est-à-dire qu’une stratégie très simple mais réellement maîtrisées donnera toujours de meilleurs résultats qu’une méthode compliquée que l’on CROIT maitriser.
Attention cependant, connaître son bétail ne doit pas devenir un oreiller de paresse non plus : un entraîneur doit toujours pousser son équipe à s’améliorer, parfois en devant insister. Néanmoins, il convient de jongler habilement entre ce qui est réaliste et ce qui relève de l’aveuglement ou de l’entêtement.
Tout cela peut être recalibré à tout instant, en fonction de l’équipe, de ses résultats, de la demande des joueurs, des progrès obtenus, des blessures etc. La recalibration permanente représente pour moi une des clés d’un coaching efficace. Mais elle ne peut se réaliser qu’au moyen d’une analyse critique dure mais juste au début et durant le processus.
Attention également : recalibration ne veut pas dire « on efface tout et on recommence ». Il importe de garder son cap mais d’ajuster sa navigation en fonction de ce qui se passe. On ne peut pas réadapter entièrement un plan de jeu en cours de saison. Une fois la saison lancée, on doit impérativement se tenir au plan de jeu initial et le corriger au fur et à mesure. Autrement, on perdra rapidement ses joueurs ce qui est le pire des scénarios.
Finalement, comme vous avez pu le constater, les concepts de modestie et de réalisme sont revenus à plusieurs reprises dans cet article et constituent certainement les poutres du concept de KYC. Ceci fera l’objet plus en détail d’un prochain papier relatif au coaching : Don’t Be Rubbish…
Stay tuned #smcrugby
Rédaction par Vincent Prébandier